Discours de Gilbert Lazaroo, à l’occasion de l’enterrement d’A.Gaucher

 

Aujourd’hui, je voudrais, au nom des associations des déportés d’Ariège, l’ADIF, les Amis des anciens du musée de la déportation de Varilhes, je voudrais, au nom des Amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, présenter à la famille Gaucher réunie ici, toutes nos condoléances et vous dire combien nous partageons votre chagrin. Nos cœurs étreints, nos larmes versées sont les dignes émotions qui nous submergent quand on a connu André. Le frisson d’un matin d’automne nous fait découvrir que la brume nous entoure.

 

Est-ce cela la mort, ne plus le voir, ne plus l’entendre, ne plus pouvoir lui prendre la main, et sentir la chape du silence s’abattre ? Est-ce cela la mort ?

 

Au bout du chemin, on découvre une fenêtre ouverte sur ses paroles, ses actions, une fenêtre éclairée par sa vie, ses combats, ses espérances.

Il est né le 18 novembre 1918, à Harfleur. Au sein de son travail, très jeune, il voulait construire des lendemains qui chantent dans les luttes syndicales, il s’engage dans les Jeunesses Communistes dès 1933, affiche des idées progressistes dans ses engagements lors des grèves de 1936, de la guerre d’Espagne. Il est de ces hommes qui construisent la vie de leurs mains d’ouvriers qualifiés, que ce soit dans une usine d’aviation ou réquisitionné par l’occupant dans les usines BMW de Vincennes.

Dans cette période en zone Nord de tous les dangers, il lui faut se replier en terre ariégeoise en 1942, à Mirepoix, avec son épouse et ses enfants. André continue ses activités avec le Parti Communiste Français, notamment avec un de ses responsables LOUIS HYGOUNET. Il distribue des tracts, sabote l’appareil de production allemand, ravitaille les maquis locaux, diffuse la presse clandestine. Or, depuis le débarquement allié en Algérie, la zone Sud devient un véritable enjeu pour les armées nazies, devant ce front méditerranéen qui s’ouvre. La répression s’amplifie à partir de 1943. Elle n’est pas seulement le fait des Allemands, mais aussi des collaborateurs, de la milice et du gouvernement de Vichy. Une première fois convoqué sur ordre des Allemands, il se met au vert avec sa famille au Mas d’Azil. Quand ils rejoignent peu après Mirepoix, il est arrêté le 29 janvier 1944 par la Gestapo sur dénonciation pour ses faits de résistance.

 

Après avoir subi coups et interrogatoire à Foix, il est transféré à la prison St-Michel de Toulouse puis le camp de Compiègne avant d’être déporté le 7 avril 1944 à Mauthausen.

Il voyage ainsi dans des conditions inhumaines dans des wagons à bestiaux dans un convoi de 1500 hommes en direction de Mauthausen.

Dans cette ancienne forteresse, André Gaucher subit la déshumanisation programmée.

Les appels qui duraient des heures, par n’importe quel temps, à n’importe quel moment

Les kapos avaient droit de vie ou de mort sur les déportés.

Le travail forcé pour la machine de guerre allemande

La nourriture juste nécessaire pour survivre

Le revier, antichambre de la mort

André Gaucher est ensuite dirigé vers Gusen, alors qu’un groupe d’hommes plus âgés est envoyé au château d’Hartheim qui est devenu, après avoir été un centre d’euthanasie des handicapés mentaux sur ordre d’Hitler, un centre d’assassinats de masse des prisonniers de Dachau et de Mauthausen.

La production des camps de Mauthausen-Gusen était supérieure à tous les camps de concentration du Reich. On y traitait les prisonniers comme des forçats mais de plus, ce complexe pratiquait l’extermination par le travail.

Les Américains libèrent le camp le 5 mai 1945, les déportés sont évacués, mais André, particulièrement malade, n’en sort qu’un mois après dans un camp aux ¾ vidé de ses prisonniers.

 

Le 16 mai 1945, Emile VALLEY, responsable du Comité International de Mauthausen, monte à la tribune dressée sur la place d’appel et fait lecture du « serment de Mauthausen ».

Les 20.000 déportés rassemblés devant les crématoires ont juré de rester fidèles à l’idéal de justice, de paix et de liberté pour lequel tant de camarades étaient morts.

Alors, je voudrais citer André :

« Avions-nous le droit de revenir à une vie normale ? Se lever le matin, se raser, prendre le petit-déjeuner, accomplir tous les actes de la vie courante comme si rien ne s’était passé ? Après tout ce que nous venions de vivre ; après avoir vu mourir tant de bons copains ? »

 

 

 

 

Ecoutez ces mots, ils sont universels, il s’adresse à nous.

Le confortable oubli, le lâche oubli, la complaisance d’effacer cette histoire des hommes qui se sont opposés aux nazis et à la soumission du gouvernement de Vichy à l’occupant, c’est le danger qui nous guette quand des nuages bruns recouvrent une partie de l’Europe de nos jours. Aussi, je voudrais rappeler cet engagement qui a conduit sa vie, engagement qui a été reconnu quand la préfète de l’Ariège lui remit les insignes de Chevalier de l’Ordre National du Mérite en novembre 2018.

Il a construit avec Jean Messer la FNDIRP d’Ariège, il a passé le flambeau à l’AFMD 09 tout en restant, jusqu’à la fin, son président d’honneur. Mais l’œuvre qui lui était particulièrement chère était le maintien du concours national de la Résistance et de la Déportation, son développement dans tous les établissements scolaires ariégeois si possible. C’est cet espoir-là qu’il nous a donné, « forger la jeunesse, être à ses côtés pour construire l’avenir ». Nous garderons en nous cette croyance, cet amour des jeunes qui le lui rendaient bien en participant aux commémorations du souvenir. Nous garderons en nous cette grande silhouette aux monuments aux morts, bien fragile ces derniers temps, qui symbolise l’aspiration des Français à rester un peuple libre.

Alors André, comme tu l’as si bien dit, mon bon copain, notre bon copain à tous, fais nous confiance, nous reprendrons ton flambeau de résistant et déporté pour un idéal de justice, de paix et de liberté.

  

 

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