La commémoration du 8 mai 1945

La Fête de la Victoire

Le 8 mai commémore en France la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie et la fin de la guerre en Europe en 1945. Mais l’histoire du 8 mai est plus compliquée que ne le laisserait croire ce simple énoncé.

Une date complexe

Les anglophones parlent de V-Day Europe, c’est-à-dire le Jour de la victoire en Europe, le V-Day Asia ou V-J Day correspondant, lui, au 2 septembre, jour de la capitulation japonaise.

Par ailleurs, en Russie, la fin de la Seconde guerre mondiale, de la « Grande guerre patriotique », est fêtée le 9 mai, parce que la capitulation a été signée le 8 mai à Berlin peu avant minuit et que c’était déjà le 9 mai à Moscou (heure officielle de la signature : 23h16 heure de Greenwich, 0h16 heure de Moscou).

Mais il s’agissait là d’une deuxième reddition, organisée à la demande de Staline, qui a refusé une première reddition qui avait eu lieu à Reims le 7 mai à 2h45. Il exigeait qu’une reddition officielle se déroule à Berlin. Elle eut lieu dans une villa du quartier de Karlshorst.

L’URSS est représenté par le maréchal Joukov, le Royaume-Uni par Arthur Tedder, de la Royal Air Force, les États-Unis par le général Spaatz et la France par le général De Lattre de Tassigny. En entrant dans la salle, le représentant de l’Allemagne le maréchal Wilhelm Keitel se serait écrié: « Quoi ! les Français aussi ! » La présence d’une délégation de la France à cette capitulation constituait en effet une victoire diplomatique importante de De Gaulle.

Une commémoration contestée

Ce n’est qu’en 1981 que le 8 mai a été consacré comme jour férié et jour de fête nationale.

En 1946, le gouvernement français a décidé de repousser, au dimanche suivant, le 12 mai, le premier anniversaire de la victoire afin de ne pas perdre une journée de travail pour la reconstruction. L’Assemblée Constituante fixe officiellement la commémoration au dimanche suivant le 8 mai.

En 1951 la commémoration a été fixée au 8 mai par le gouvernement. C’est sous la pression des associations d’Anciens combattants qu’en 1953 le 8 mai devient jour férié (par la loi du 20 mars 1953).

Revenu au pouvoir, le général de Gaulle supprime en 1959 le caractère férié de la Fête de la Victoire, qui revient au deuxième dimanche du mois de mai. Cette décision provoque la colère des associations.

Exceptionnellement, pour le vingtième anniversaire de la victoire, le gouvernement de Georges Pompidou rétablit un jour férié le 8 mai 1965. En 1968, la commémoration est ramené au 8 mai, mais reste un jour travaillé.

Enfin, en 1975, le président Giscard d’Estaing, dans le cadre de la réconciliation franco-allemande, décide de supprimer la commémoration nationale et officielle du 8 mai. Le 8 mai 1975 est donc censé être le dernière commémoration de la victoire de 1945, pour son trentième anniversaire. Mais de nombreuses communes continuent de célébrer le 8 mai.

Peu de temps après l’élection de François Mitterrand, la loi du 2 octobre 1981 rétablit la commémoration et le jour férié. En 1988, le 8 mai devient une fête nationale.

Une date aussi pour l’Algérie

Lors des festivités organisées dans les départements d’Algérie pour célébrer la fin de la guerre, le 8 mai 1945, des défilés sont prévus dans les villes algériennes. Les partis nationalistes algériens souhaitent profiter de l’occasion pour faire valoir leurs revendications. Ils y sont autorisés, à condition de ne brandir que des drapeaux français. Malheureusement, à Sétif, un jeune scout musulman, Bouzid Sâal, agite un drapeau algérien. Il est tué par un policier. Des émeutes éclatent à Sétif, Guelma et Kherrata. Une centaine d’Européens est tuée et le nombre de victimes musulmanes est toujours sujet à caution, en tout cas plusieurs milliers. Les causes de cet embrasement font également l’objet de débats entre historiens, dont certains supposent un projet d’insurrection et non un incident. Toujours est-il que plusieurs facteurs ont contribué à un échauffement des esprits entre Européens et Musulmans, parmi lesquels la conscription des Musulmans à partir de 1942, la méfiance des Européens envers les Musulmans, la mauvaise situation alimentaire, l’emprisonnement de Messali Hadj à Brazzaville.

Cet événement a durablement marqué aussi bien le futur président algérien Houari Boumédiène que le futur écrivain Kateb Yacine qui en ont été témoins.

La République algérienne commémore depuis l’indépendance le 8 mai comme « une répétition générale à l’insurrection victorieuse de 1954 ». En 2005, l’ambassadeur de France en Algérie Hubert Colin de Verdières qualifie les événements de Sétif de « tragédie inexcusable ». Le 19 avril 2015, le secrétaire d’État français aux Anciens combattants Jean-Marc Todeschini participe aux commémorations aux côtés du ministre algérien des Moudjahidines.

Une concurrence politiquement sensible

Le 8 mai est également le jour où, en 1429, Jeanne d’Arc a délivré Orléans du siège des Anglais, événement crucial de la Guerre franco-anglaise appelée couramment Guerre de cent ans. C’est pourquoi, depuis 1457, une procession, devenue à la Révolution française une célébration, se déroule tous les ans à Orléans, sous le nom de « Fêtes johanniques d’Orléans ». Une personnalité nationale est invitée chaque année pour présider la manifestation.

Sur le plan national, à la fin du XIXe siècle, la droite nationaliste cherchait une fête alternative au 14 juillet. Le deuxième dimanche de mai est choisi en référence à l’action de Jeanne d’Arc à Orléans par un ensemble de mouvements, dont par exemple la très royaliste Action française. La République elle-même, par une loi du 10 juillet 1920, votée à l’unanimité, institue une « fête de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme » qui fait toujours partie des douze journées nationales organisées par le Ministère de la défense. Une cérémonie a lieu chaque année devant la statue équestre de Jeanne d’Arc place des Pyramides à Paris.

A la Libération, pour les rescapés de la collaboration, l’hommage à Jeanne d’Arc prend l’allure d’une contre-manifestation à la fête de la victoire des Alliés le deuxième dimanche de mai. Le Front national y a d’ailleurs participé de 1979 à 1988, avant d’opter pour le 1er mai, se démarquant ainsi des groupuscules et tentant de relier le social (Fête du travail) et le national (Fête de Jeanne d’Arc).

Conclusion

Cette date est finalement le lieu de nombreuses tensions, au premier rang desquelles celle entre les partisans et les opposants d’une commémoration propre à la victoire des Alliés lors de la Seconde guerre mondiale. Mais il est également hautement significatif que cette date marque à la fois la fin d’une guerre mondiale et le début d’une guerre d’indépendance. Enfin, la manière dont est gérée la coïncidence à la même date de deux événements historiques totalement indépendants est éclairante sur l’usage politique du passé à travers les commémorations.

Aujourd’hui, il paraît tout à fait naturel, en même temps que nécessaire, de célébrer la victoire sur le nazisme.

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